Intervention en séance en qualité de chef de file pour mon groupe politique.
PjL Code mondial anti-dopage et lutte contre le dopage
Mardi 16 février 2021
Madame la Présidente / Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes Chers Collègues,
L’harmonisation internationale des régimes de contrôle et de sanction du dopage est fondamentale. Et le système ne peut être accepté et respecté par la totalité des acteurs du monde sportif que s’ils sont soumis aux mêmes règles, tant dans le cadre des épreuves nationales et internationales.
À quoi servirait l’application d’un plan national de prévention du dopage et des conduites dopantes dans les activités physiques et sportives (2019-2024) ou notre politique de contrôle et de sanction, si à la moindre compétition internationale, nos athlètes se trouvaient confrontés à des adversaires enfreignant la loi et violant le principe de l’équité dans la compétition ? Le talent et le travail doivent demeurer les moteurs de la performance.
Le présent projet de loi vise à habiliter le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance aux modifications législatives nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage, l’échelon international fixant le cadre de la réflexion et de la coopération entre les différentes agences étatiques antidopage.
Bien que la gestion de la crise sanitaire ait bouleversé l’ordre du jour parlementaire par l’examen de textes en lien avec l’épidémie depuis mars dernier, le Sénat est à nouveau saisi en urgence d’un processus de mise en conformité qui laisse une marge de manœuvre contraignante, infime pour amender le texte.
La France, qui figure parmi les pays leaders dans la lutte contre le dopage, a toujours veillé à créer les conditions juridiques nécessaires à la mise en œuvre complète du code mondial antidopage, édicté depuis 2003 par l’Agence mondiale antidopage (AMA), et qui fait régulièrement l’objet d’évolutions. Il constitue la base juridique, s’imposant à l’ensemble des pays signataires de la convention internationale contre le dopage dans le sport, adoptée en 2005 sous l’égide de l’UNESCO.
La création et les missions de l’A.M.A., et la rédaction du Code mondial anti-dopage ont marqué une étape historique dans l’histoire des compétitions ; nous devons tout mettre en mesure pour leur créer un environnement favorable, et leur permettre une opérationnalité optimale. C’est l’enjeu essentiel de ce projet de loi.
La lutte anti-dopage nécessite une politique nationale et une politique internationale ; celle-ci est portée par l’A.M.A., dont les décisions sont parfois critiquées, mais dont le rôle est incontournable. L’A.M.A. doit être défendue et toujours plus consolidée, notamment financièrement. Elle est financée à parts égales par le C.I.O. et les gouvernements. Mais alors que 191 États ont adopté en 2005, à l’unanimité, la convention internationale de l’UNESCO contre le dopage dans le sport, le budget de l’A.M.A. s’élève seulement à 32 millions d’euros (soit 5% du seul budget du PSG !).
La participation de la France au budget de l’organisation, de l’ordre du million d’euro par an, a été déterminée dès les premières années selon une clé de répartition fixée en quote-parts par continent, l’Europe assurant 47,5% du financement contre 20,5% pour l’Asie.
Certains pays compensent l’obsolescence de cette base fixe par le versement de parts volontaires variables indexées sur leur population, leur PIB et leur poids sportif actualisés. Ce mode de fonctionnement, sur le plan du principe, pourrait poser un problème d’influence sur l’organisation et nécessiterait d’être harmonisé.
La loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs avait mis, par avance, la législation en adéquation avec la première version du Code mondial antidopage (CMA). Puis trois révisions du CMA entraînèrent des mises en conformité de la partie législative du code du sport, successivement intervenues par voie d’ordonnance en 2010, 2015 et 2018, et qui auraient mérité qu’un bilan d’application puisse être opéré, à défaut de saisir le Parlement pour examiner au fond les dispositions du CMA.
Dans la continuité de cette mise en conformité régulière, il nous convient aujourd’hui d’adapter le droit national à la version du code mondial antidopage, adoptée lors de la conférence mondiale de Katowice (Pologne) du 7 novembre 2019, version entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2021. La réforme organisationnelle se poursuit donc, étape après étape.
Mais le retard pris par la France a conduit l’AMA à lui adresser un rapport de mesure corrective qualifiant de critique cette irrégularité et indiquant accorder un délai de trois mois, soit jusqu’au 12 avril prochain, pour se conformer aux nouvelles dispositions du code. Il expose le pays à des sanctions lourdes de conséquences, pouvant se traduire par une inéligibilité à l’organisation de manifestations sportives (nationale, continentale, mondiale) et par l’interdiction pour les sportifs français d’y participer.
Mettons-nous un instant à la place du sportif de haut niveau et de son encadrement ; il est soumis à de multiples contraintes : contrôles réguliers (inopinés ou en compétition), localisation par le système dit « ADAMS », suivi longitudinal…
Ils ne comprendraient pas que les efforts consentis soient contrariés par des difficultés, voire des entraves à caractère administratif et institutionnel. D’où notre niveau d’exigence élevé quant à l’accomplissement des missions de l’AFLD, aux moyens qui lui accordés et à l’application du Code mondial.
L’application de ces sanctions aurait également des répercussions négatives en termes d’image renvoyée. Elles s’inscriraient dans le cadre de l’organisation de la Coupe du monde de rugby de 2023 et des JOP de Paris en 2024, sous réserve de conditions sanitaires à nouveau favorables. L’enjeu est donc majeur pour la France qui s’est fixé des objectifs pour 2024 : en nombre de médailles ou en augmentation du nombre de pratiquants ; il doit également se fixer de hautes ambitions sur les plans déontologique et éducatif.
Concrètement, les nouveaux standards internationaux déclinés dans l’unique article de ce projet de loi offrent de réelles avancées.
Tout d’abord, ils vont permettre d’accroître la dimension collaborative de la politique de lutte contre le dopage, en offrant la possibilité aux fédérations sportives qui le souhaitent de réinvestir ce champ et de développer une véritable politique éducative d’information et de prévention, responsabilité dont elles étaient écartées depuis le 1er mars 2019, avec la suppression du pouvoir disciplinaire de premier niveau ; la mise en œuvre des contrôles restant l’apanage de l’AFLD.
Le transfert des compétences éducatives (Plan Éducation) du Ministère vers l’Agence se poursuit avec l’appui des fédérations, principaux opérateurs via un dispositif de certification par l’AFLD, d’éducateur antidopage au sein des fédérations.
Au sein de la Commission d’enquête parlementaire sur l’efficacité de la lutte contre le dopage, nous avions identifié les obstacles auxquels cette lutte était confrontée : la loi du silence, l’internationalisation des trafics, internet (en 48 heures, livraison d’EPO à domicile), les pressions politiques et les complicités institutionnelles, les difficultés de détection de certains produits, l’apparition de nouveaux protocoles très individualisés, un audiovisuel peu motivé par des campagnes de prévention, un manque d’informations dans la formation des sportifs de haut niveau…
Ces difficultés demeurent mais le contour des ordonnances envisagées dans cette loi d’habilitation représente des avancées dans divers domaines : l’éducation et la prévention, la coordination des acteurs, la prise en compte des preuves non analytiques, l’individualisation des sanctions, l’actualisation des produits concernés, l’autonomisation des laboratoires. La protection des individus qui dénoncent des faits de dopage aux autorités (lanceurs d’alerte). Tout cela va dans le bon sens.
Mais deux évolutions ont particulièrement alerté notre commission, au point de rejeter le texte lors de son examen le 3 février dernier, texte pourtant adopté largement à l’Assemblée quelques semaines plus tôt. La première relative au statut du laboratoire d’analyses antidopage français qui doit dorénavant être administrativement et opérationnellement indépendant de toute organisation antidopage, venant ainsi acter sa séparation de l’AFLD qui, depuis 2006, l’administrait. Alors que le laboratoire et ses personnels (cadres et techniciens) doivent rejoindre la faculté de pharmacie de l’Université Paris-Saclay au 1er novembre prochain, cette intégration semble souffrir d’un manque d’ingénierie et de moyens déployés, engendrés notamment par les surcoûts liés à la démutualisation des fonctions support initialement supportées par l’Agence.
Le laboratoire assumera son propre fonctionnement à partir de la rémunération des prestations qu’on lui achètera, des recettes extérieures qu’il obtiendra d’analyses effectuées auprès d’organisations internationales étrangères, ainsi que via les subventions d’équilibre du ministère des Sports qui lui permettront de financer ses investissements. Il convient donc, Madame la Ministre, d’apporter les éclaircissements et les garanties indispensables à la réussite de ce projet. J’ajoute que les opérations de recherche et de développement (modes de détection, produits, intelligence artificielle), éléments structurant la lutte antidopage, apparaissent peu dans ce texte de mise en conformité.
Le second point d’achoppement concerne l’incapacité pour l’AFLD, au regard du droit français actuel, de mener des enquêtes administratives tel que le commande le CMA. La doter de cette compétence renforcerait considérablement l’efficacité de ses actions d’investigation et nous paraît essentiel. Je fais ici directement référence au pouvoir de convocation ainsi qu’à la capacité d’user d’une identité d’emprunt et à réaliser des « coups d’achat ». Sur ces points aussi, Madame la Ministre, nous souhaitons que les désaccords apparus entre les ministères des Sports et de la Justice puissent être aplanis. Des avancées qui, nous l’espérons, se traduiront dans les termes de cette ordonnance.
Mais la problématique des financements mis à disposition de l’AFLD, autorité administrative indépendante demeure un véritable sujet (ses moyens d’investigation et d’enquête).
Depuis la loi Herzog de 1965 – qui a fait de la France le second pays au monde après la Belgique à se doter d’une législation réprimant le dopage -, le Parlement a légiféré à de nombreuses reprises, avec une continuité évidente dans la recherche de l’efficacité.
Cette action s’inscrit dans la durée, en accord avec l’État. Notre commission sénatoriale continuera à veiller au maintien des crédits qui lui seront consacrés, notamment au travers les moyens de l’AFLD.
En effet, la France doit continuer à jouer un rôle moteur dans cette lutte, traduction d’une vision humaniste du sport.
Je rappelle que la généralisation du passeport biologique et du suivi longitudinal est dû à un amendement sénatorial.
Plus globalement, la lutte anti-dopage progresse, mais tout relâchement serait coupable. S’il semble de plus en plus difficile de passer entre les mailles du filet, les substances et les protocoles indécelables menacent toujours.
Nous sommes dans un système de tolérance zéro. Donc la finalité est claire : l’éradication des substances prohibées. Tout en reconnaissant que la suspicion de dopage peut parfois ternir l’image d’une discipline, sans preuve objectivement démontrée.
La relation sport-dopage est rythmée de drames, d’affaires, de scandales, depuis les Jeux olympiques antiques. Pour la période contemporaine : le décès du cycliste Tom Simpson, les affaires Festina, Puerto, Pistorius, Ferrari, Balco ; le scandale Amstrong ; le dopage d’État aux JO de Sotchi ; les démêlés judiciaires de la Juventus de Turin… furent autant de révélateurs fracassants d’une réalité encore souvent dominée par le secret et le refus d’assumer ses responsabilités.
Les sportifs tricheurs ont trop souvent bénéficié d’un manque de transparence et de coopération entre les parties concernées, menaçant parfois la crédibilité même de la lutte anti-dopage.
La valorisation du rôle des sportifs repentis, véritables briseurs d’omerta, va dans le sens d’une meilleure connaissance du phénomène du dopage (les circuits d’approvisionnement, les motivations, les complicités, les éléments déclencheurs, les conséquences sanitaires, les effets psychologiques…). Cette valorisation complète une plus grande individualisation des sanctions et une plus grande importance accordée à ce qui fait souvent défaut : le manque d’informations et d’éducation (les auditions de notre commission l’ont confirmé).
Les valeurs du sport, toujours prônées, mais souvent perverties, comptent la loyauté dans leur arsenal, mais également la sécurité sanitaire du pratiquant. Le dopage est bien une problématique de santé publique.
Le dopage n’est pas lié à tel ou tel sport, puisqu’il concerne l’homme face à la compétition. Le dopage dégrade l’image du sport ; il est omniprésent dès les années 1950.
Les mentalités évoluent : sont de moins en moins nombreuses les personnes qui pensent que le dopage n’existe pas ou n’est pas un problème dans le sport, ou qui remettent en cause la nécessité voire les principes de la lutte anti-dopage (la tolérance zéro), ou bien encore qui veulent garder les yeux fermés sur ces pratiques délictuelles qui viennent pervertir la loyauté des compétitions.
Le sujet n’est plus vraiment tabou. Le combat contre le dopage est un combat juste ; nous devons en tirer les conséquences en donnant les moyens financiers, juridiques d’agir aux instances et personnes impliquées ; et elles sont nombreuses : AMA, MS, AFLD, mouvement sportif, sportifs eux-mêmes et leurs entourages, instances de formation, sportifs repentis, médias, médecins, partenaires financiers…
N’hésitons pas à rappeler que le dopage est dangereux pour la santé (intégrité physique) des athlètes et qu’il leur fait courir un risque majeur. Les études scientifiques le démontrent. Préserver l’éthique du sport et protéger la santé des sportifs constituent les deux volets d’un même combat.
Les standards antidopage progressent et c’est satisfaisant. Objet complexe, la connaissance des règles du CMA par les sportifs eux-mêmes demeure un enjeu majeur qui mérite une approche professionnelle, y compris dans les fédérations.
Mais la diffusion d’une véritable culture de l’antidopage en France, moderne, axée sur la responsabilisation de l’ensemble des acteurs et sur la notion de performance propre, soutenable et durable, telle que la France s’en donne les moyens, doit être poursuivie et renforcée.
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