3 juin 2022. Entretien avec le journal Le Monde, suite à l’audition des Ministres de l’Intérieur et des Sports, après les incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022.
Incidents au Stade de France : Darmanin met les formes mais ne varie pas sur le fond
Auditionné par les sénateurs, le ministre de l’intérieur a fait un timide mea culpa, tout en maintenant ses accusations contre les supporteurs britanniques et la fraude organisée de faux billets.
Par Nicolas Lepeltier(avec Rémi Dupré) et Alexandre Lemarié
Publié le 02 juin 2022 à 05h27 – Mis à jour le 02 juin 2022 à 10h06
Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castéra devant la commission des lois du Sénat, à Paris, le 1er juin 2022. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
Une audition et un timide début de mea culpa. Mais pas de changement sur le fond. Mercredi 1er juin, devant la commission des lois du Sénat, Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castéra étaient invités à faire « toute la transparence » sur le fiasco du Stade de France. Depuis le 28 mai, les scènes de chaos observées aux abords de l’enceinte dyonisienne en marge de la finale de la Ligue des champions entre Liverpool et le Real Madrid ont déclenché une tempête politique et la colère des Britanniques. Les ministres de l’intérieur et des sports se sont donc employés à répondre, point par point, aux questions des parlementaires.
Ils avaient été fortement incités à le faire à l’issue du conseil des ministres, le matin même, par Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat, qui a tout fait pour ne pas être mêlé à cette polémique, considérée par son entourage comme un dossier empoisonné, sur lequel « il n’y a que des coups à prendre », n’avait pas dit un mot depuis samedi sur le Stade de France. Mercredi matin, alors que la polémique ne désenfle pas, le président a finalement demandé au gouvernement « la transparence, la lumière sur les faits, des pistes pour que ça ne se reproduise plus et de la réactivité », a annoncé la porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, évoquant même « une obsession » de M. Macron.
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A la sortie du conseil des ministres, Mme Grégoire a, en tout cas, estimé qu’« on aurait sûrement pu faire mieux » et s’est dite « désolée » pour les supporteurs, victimes de ces incidents. Un léger changement de ton qui tranche avec celui, offensif, du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, depuis quatre jours.
Face aux critiques, venues de France mais aussi de l’étranger, l’exécutif commence donc à reconnaître les dysfonctionnements, sans se réfugier dans le déni. « Quand ça a merdé, il faut dire que ça a merdé », estime un proche du chef de l’Etat. D’après l’Elysée, « le président a de suite compris que c’était important et il a donné les ordres pour que cela soit pris au sérieux. Et que les responsabilités soient établies, afin que cela ne se reproduise pas ». Une manière de mettre la pression sur son ministre de l’intérieur, en le forçant à changer d’attitude.
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« Une blessure pour notre fierté nationale »
Le message a manifestement été entendu par M. Darmanin. « Il est évident que les choses auraient pu être mieux organisées », a-t-il reconnu, mercredi, lors de son audition par la commission des lois du Sénat. « Il est évident que cette fête du sport a été gâchée », a-t-il ajouté, avant d’admettre que « l’image négative de ce match est une blessure pour notre fierté nationale ». « Et nous regrettons très sincèrement les débordements parfois inacceptables qui ont eu lieu », a encore dit le ministre, sous le feu de l’opposition, qui exige sa démission.
Le locataire de la Place Beauvau a même regretté l’utilisation massive et sans distinction des gaz lacrymogènes à l’entrée du stade, il a admis que cela avait « causé de gros dégâts, notamment sur les enfants ». « Je voulais m’excuser très sincèrement de cette utilisation disproportionnée », a déclaré M. Darmanin, qui a demandé des sanctions contre deux responsables des forces de l’ordre pour avoir enfreint, samedi, les règles d’emploi des gaz lacrymogènes. Il a, par ailleurs, chargé Michel Cadot, délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques (Dijop), d’étudier des méthodes de dispersion de la foule « différentes » lors des grands événements sportifs.
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Le ministre de l’intérieur, à qui le président de la République maintient « toute sa confiance », comme le rappelait Olivia Grégoire au sortir du conseil des ministres, n’a en revanche exprimé aucun remords sur le dispositif sécuritaire de la finale. Certains sénateurs lui ont reproché, mercredi, d’avoir voulu tester certaines choses dans la perspective de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des Jeux olympiques et paralympiques à l’été 2024. « Aurions-nous pu anticiper davantage ? Sans doute », a-t-il seulement concédé, regrettant, par exemple, qu’une note de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), datée du 25 mai, alertant sur le risque de dizaines de milliers de supporteurs de Liverpool sans billets, n’ait pas été transmise au préfet de police de Paris, Didier Lallement. Avant de rectifier de lui-même, quelques instants plus tard : « La DNLH a bien envoyé cette note à la Préfecture de police. » Et de préciser que « le contenu de cette note n’aurait rien changé ».
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Pour le reste, Gérald Darmanin reste droit dans ses bottes : le dispositif du maintien de l’ordre a permis, selon lui, de « sauver des vies », comme la décision du préfet Lallement de lever le préfiltrage – prélude aux scènes de chaos observées sur le parvis du Stade de France – quand la pression des supporteurs britanniques dans le goulot d’étranglement à la sortie du RER D était trop forte.
La ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra, a, elle, reconnu que des réflexions devaient être menées dans « la gestion des flux au sortir des transports publics », la « coordination entre nos forces de sécurité intérieure et les agents de sécurité privée », ou encore une « meilleure anticipation des dispositifs de lutte contre la délinquance ».
Seuls 2 800 faux billets scannés à l’entrée
Surtout, le ministre de l’intérieur a maintenu ses accusations contre les supporteurs britanniques, qu’il tient pour seuls responsables de « la fraude massive, industrielle et organisée de faux billets ». Or, seuls 2 800 faux billets ont été effectivement scannés à l’entrée de l’enceinte dyonisienne.
Devant les sénateurs, Gérald Darmanin a expliqué, chiffres de la RATP, de la SNCF, de l’Union européenne des associations de football (UEFA) ou encore de la Fédération française de football à l’appui, comment il avait évalué, dès la fin du match samedi, la présence de « 30 000 à 40 000 supporteurs britanniques soit sans billet, soit avec des billets falsifiés ». Un ticket aurait même été reproduit « 744 fois », en veut pour preuve M. Darmanin. Des arguments qui, depuis samedi, révoltent les Britanniques ; eux mettent en cause les dysfonctionnements des autorités françaises dans l’organisation de la finale.
« Il n’y a que vous qui avez vu ces supporteurs supplémentaires », l’interpelle alors Michel Savin, député (Les Républicains) de l’Isère et président du groupe Pratiques sportives et grands événements sportifs. Le ministre de l’intérieur se dit prêt à fournir des images de vidéosurveillance qui attesteraient, dès 22 h 45, soit plus de trente minutes avant la fin du match, de la présence sur les quais du RER D d’un grand nombre de supporteurs, « dont beaucoup de maillots rouges ».
A Nyon, au siège de l’UEFA, ces chiffres sont mis en doute. Loin des 30 000 à 40 000 annoncés par Beauvau, il n’y aurait eu « que » plusieurs milliers, tout au plus, de supporteurs anglais autour du stade sans billet ou avec des billets falsifiés. Sans nier leur propre responsabilité, des cadres de l’UEFA pointent, en interne, la désorganisation et la mauvaise réaction des forces de l’ordre françaises.
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« Si des éléments techniques ont été apportés de manière précise par le ministre de l’intérieur, il y a encore des choses qui ne collent pas vraiment, fait valoir Jean-Jacques Lozach, sénateur socialiste de la Creuse. On attend avec impatience les conclusions et préconisations du rapport Cadot. » Le Dijop a dix jours pour rendre à la ministre des sports ses observations sur le fiasco du Stade de France. En attendant, le Sénat a décidé de poursuivre ses auditions.