74ème anniversaire du massacre du Bois du Thouraud
Jeudi 7 septembre 2017
Commune de Maisonnisses – Département de la Creuse
Allocution de M. Jean-Jacques LOZACH – Sénateur de la Creuse
En ce 7 septembre 2017, nous voici à nouveau réunis au Bois du Thouraud, pour la commémoration du massacre intervenu ici même, il y a 74 ans ; de jeunes patriotes ont trouvé la mort, fusillés par les troupes nazies.
La ferveur de l’hommage que nous leur devons ne s’est nullement estompée : votre nombreuse présence en porte à nouveau témoignage ce matin. Ce site, ce bois, nous aurions préféré qu’il n’intègre jamais notre mémoire collective, car il l’a imprégnée pour des raisons tragiques.
Difficile d’imaginer, quand on entre dans ce lieu de silence et de méditation, que l’horreur y a sévi. Chacun essaie de se représenter la réalité historique : qui étaient-ils ? Quel était leur parcours ? Quelles étaient leurs motivations ? Quelle était la vie de cette quinzaine de jeunes résistants, vivant ici mais risquant la mort à tout instant ? Avec eux, la forêt retrouvait une de ses fonctions séculaires : servir de refuge aux persécutés, à ceux qui ont choisi de combattre l’ennemi.
Ils étaient nés en Creuse, mais également en Moselle, à Tours, Limoges, Caen, Paris et même, pour John Alan COLOMB, à San Francisco. Ils étaient tous très jeunes, 21 ans de moyenne d’âge. Épris de liberté, réfractaires au S.T.O (Service du Travail Obligatoire), ils firent le choix de rejoindre la Résistance, à l’été 1943, sur les conseils d’une organisation dénommée : « Ceux de la Libération ». Ils avaient opté pour défendre une France libre, une France républicaine. Ils avaient accepté le danger ; ils avaient accepté d’affronter la peur, la torture et la mort.
Ce maquis, implanté dans ce massif forestier difficile d’accès n’aurait jamais pu s’implanter, s’il n’avait reçu de nombreux soutiens parmi les villageois des alentours. Rendons hommage à l’esprit patriotique de la grande majorité des paysans creusois, qui approvisionnèrent voire cachèrent des résistants.
Mais ici, les Maquisards du Bois du Thouraud allaient connaître l’horreur. Le Préfet écrit dans son rapport : « le 7 septembre 1943, à 7h30, un détachement de troupes allemandes (SS) d’une centaine d’hommes (venus de la Courtine et de Limoges au moyen de 4 véhicules) a effectué une opération de police contre un groupe de réfractaires dans les bois du Thouraud, communes de Sardent et de Maisonnisses. Tous les réfractaires du groupe constitué en août sous l’appellation « Tribu des Écureuils » ont été tués ou capturés ».
Sept d’entre eux ont été tués sur place, à l’aube du jour, à l’aube de leur vie, à cet instant du jour où la lumière paraît, à cette période de la vie où tous les espoirs sont permis.
Huit autres ont été déportés ; seulement trois sont revenus des camps de la mort, après de longs mois de privations, d’isolement, de souffrances physiques et morales.
Ce sont donc au total 12 noms qui sont à jamais gravés sur ce monument et dont l’appel aux morts, dans un instant, nous rappellera le sacrifice.
Ce monument de granit était inauguré il y a exactement 70 ans aujourd’hui : le dimanche 7 septembre 1947. Il scelle dans le sol creusois un lieu de mémoire emblématique, donnant une permanence à notre cérémonie du souvenir.
Aussi, je tiens à saluer et remercier pour leur rôle essentiel, tous les membres de l’Association pour la mémoire des victimes du Bois du Thouraud que vous présidez, Madame le Maire.
Oui, la Creuse fut une terre de Résistance car elle refusait l’asservissement nazi et plaçait la dignité humaine au-dessus de toutes valeurs.
En 1941, Vichy ne disposait pas dans la Creuse de l’assentiment général, loin s’en faut. Les rapports intermédiaires servant à la rédaction du rapport mensuel du Préfet disaient : « En général, rien n’a changé, incompréhension presque totale de l’esprit de la Révolution nationale et de la situation de la France, dans les campagnes… Les partisans de la victoire de l’Angleterre sont de beaucoup les plus nombreux ».
Fief des Maquis, oui, mais la Creuse fut aussi une terre d’accueil et de protection, un refuge pour des Innocents, notamment des enfants, pourchassés par les nazis. Je pense en particulier à la place tenue par les trois Maisons d’enfants relevant de l’O.S.E (Œuvre de Secours aux Enfants) et au sauvetage des enfants juifs qui y furent protégés : Le Masgelier à Grand-Bourg, Chabannes à Fursac, Chaumont à Mainsat. Je pense à cette maison de Saint Agnant près Crocq, gérée par la « Maison chrétienne franco-tchécoslovaque pour enfants ». Ces lieux renvoient à des hommes et des femmes exceptionnels qui incarnent « l’amour des autres ». Je pense à tous ces Creusois reconnus comme Justes par l’État d’Israël, et dont le nom figure sur le « Yad Vashem », mémorial situé sur le Mont Herzl de Jérusalem.
Mais je pense également à tous ces Creusois anonymes, qui ont manifesté par des actes forts leur engagement contre le fascisme.
Ils déployèrent une résistance, à bien des égards exemplaire, par son engagement, parvenant, notamment, à partir de 1943, à gêner considérablement l’occupant allemand, le freinant dans sa marche vers le front de Normandie.
Cette lutte était plurielle : résistance armée, embuscades, parachutages, renseignement, camouflage du matériel de l’armée, tracts, inscriptions sauvages, mais aussi résistance culturelle avec Jean Lurçat, Taslitzky et d’autres.
De nombreux maquis se constituèrent et menèrent sur l’ensemble de notre territoire des opérations de sabotage, conduisant beaucoup de leurs membres à des exécutions, à la déportation, à de violentes répressions.
Exemple : là, à Combeauvert, où 31 jeunes ont été massacrés dans des conditions épouvantables par la sinistre division « Das Reich », responsable des atrocités de Tulle et d’Oradour-sur-Glane.
Ici, au Bois du Thouraud, avec des soldats allemands fanatisés par la propagande hitlérienne, des soldats appartenant aux commandos parachutistes de la Luftwaffe, dirigée par le Maréchal Goering ; ces commandos s’entraînaient au camp de La Courtine.
Le Bois du Thouraud, Combeauvert, mais combien d’autres endroits furent le lieu de tragédies. Nous connaissons tous ces stèles disséminées sur l’ensemble du département de la Creuse et qui les rappellent à notre souvenir.
Au total, ce sont plus de 500 Creusois qui paieront, de leur vie, ce combat contre le nazisme.
Alors oui, souvenons-nous, n’oublions jamais cette tragédie de l’Histoire. Soyons vigilants et battons-nous, toutes générations confondues, pour faire triompher la connaissance, le savoir, la recherche historique, la culture de la mémoire. Gardons à l’esprit le mot de Robert BADINTER : « La justice, ce n’est pas la vengeance, c’est la mémoire ».
N’oublions jamais une réalité historique : un vote démocratique peut engendrer l’instauration d’une dictature. L’Allemagne des années 1920 et 1930 en témoigne.
Dès 1923, Hitler publie « Mein Kampf », livre dans lequel il expose la théorie nazie, fondée sur 3 principes : la supériorité de la race aryenne sur toutes les autres races, la notion « d’espace vital » qui justifie l’expansionnisme et enfin le principe instituant l’autorité d’un seul homme.
Adossé au soutien d’un certain nombre de financiers et d’industriels, il promet du travail aux Allemands et accède légalement au pouvoir en janvier 1933. Il établit aussitôt une dictature, avec comme élément constitutif une politique d’annexions, débouchant sur le déclenchement de la seconde guerre mondiale.
C’est cet engrenage infernal qui a fait que nous sommes rassemblés ce matin.
Or, nous vivons une période troublée. Le terrorisme islamiste de Daech, les provocations de la Corée du Nord, les coups de menton des États-Unis, les velléités nationalistes de la Russie, des tyrannies qui résistent au temps, des inégalités de développement considérables, la difficulté à faire émerger une réelle communauté internationale, la crise de confiance dans l’Union européenne, les aléas d’une mondialisation accélérée… En un mot, tous ces ingrédients contribuent à faire de la planète un monde dangereux, imprévisible, anxiogène.
Mesdames et Messieurs, avant de nous séparer, méditons la phrase de Benjamin FRANKLIN. Je cite : « il n’y a jamais eu de bonne guerre ni de mauvaise paix ».
Il prolongeait l’affirmation de VOLTAIRE : « le premier des devoirs, sans doute, est d’être juste ; et le premier des biens est la paix de nos cœurs ».
Le poids, les responsabilités, le message qui découlent de la tragédie du Bois du Thouraud imprègnent ce site ; le sang colore à jamais ce sol qui parle à chacun de nos pas.
Ces maquisards ont donné leur vie et leur jeunesse pour notre liberté.