Lors de la séance publique du mercredi 19 octobre, je suis intervenu en tant que rapporteur de la délégation à la prospective et co-auteur du rapport « Eau : urgence déclarée », lors du débat consacré à ce sujet.
@ Retrouvez toutes les précisions sur ce rapport dans cet article.
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(les vidéos sont également accessibles sur le site du Sénat)
1ère intervention :
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.
Jean-Jacques Lozach, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de ce travail commun mené avec Henri Tandonnet, je veux à mon tour souligner le fait que notre pays, contrairement à ce que sa situation géographique laisse à penser, est, lui aussi, exposé au risque de pénurie d’eau.
Il est temps de se montrer réaliste. Aujourd’hui, n’en déplaise à certains, le dérèglement climatique n’est plus contestable, l’élévation des températures moyennes est sans équivoque et l’ère du climato-scepticisme est révolue. Nous savons d’ores et déjà que la France métropolitaine ne sera pas épargnée.
Les études montrent que notre pays devrait connaître des étés affichant jusqu’à cinq degrés supplémentaires d’ici à la fin du siècle et souffrir plus souvent d’épisodes climatiques extrêmes, du type inondation ou tempête.
À cet égard, balayons ensemble un certain nombre d’idées reçues. Ce ne sont pas les régions méditerranéennes qui seront les plus touchées, car elles peuvent compter sur les milliards de mètres cubes stockés, notamment par les grandes retenues constituées, voilà longtemps, dans les Alpes. Plus préoccupante, en revanche, est déjà la situation du Midi aquitain, notamment du bassin Adour-Garonne, en raison de la disparition des glaciers des Pyrénées et du faible nombre d’ouvrages de retenue. On nous dit aussi que le bassin Seine-Normandie, qui alimente des millions de nos concitoyens, serait particulièrement vulnérable.
Devant la gravité de la situation, si la prise de conscience des élus, en particulier des élus locaux, va croissante, grâce aux récentes études de prospective, celle de la population reste insuffisante, voire quasi nulle. À l’évidence, il y a urgence à mener un effort de pédagogie et de sensibilisation pour promouvoir une politique d’économie d’une ressource qui constitue un bien commun. Rappelons en effet une réalité qui s’impose à nous, mais que nous oublions souvent : la ressource en eau ne se crée pas, elle se gère.
Et l’on peut agir ! Par exemple, une source de gaspillage avérée résulte de la déperdition d’eau dans les réseaux d’adduction : de 20 % du débit en moyenne, cette déperdition peut dépasser les 40 % en milieu rural. Renforcer la surveillance et l’entretien des réseaux de distribution serait déjà œuvre utile. De même, et les membres de la délégation y ont été sensibles, prenons la mesure de l’incidence, sur la consommation d’eau, de l’implantation des canons à neige ou de l’arrosage des golfs dans les zones où la ressource est comptée.
Sensibiliser la population est un impératif, mobiliser la recherche, tant publique que privée, en est un autre.
Avec Veolia, Suez environnement, ou bien encore la Saur, nous avons la chance que des entreprises françaises, réputées mondialement, et qui réalisent une grande partie de leur chiffre d’affaires à l’international, investissent massivement en matière de recherche et développement sur l’eau.
Car, oui, il est possible d’accroître la ressource en mobilisant une eau que l’on pensait perdue. Je pense notamment à la technique de réalimentation des nappes phréatiques, ou bien encore à la réutilisation des eaux usées traitées, à laquelle d’autres pays ont recours, y compris pour la consommation humaine ou animale, mais qui soulève, chez nous, il est vrai, des résistances particulières. Quelle est votre position à ce sujet, madame la secrétaire d’État ?
Bien sûr, toutes ces solutions ont un coût, ce qui suppose d’opérer des choix politiques dans le contexte de redressement des comptes publics que nous connaissons. J’en viens donc à la question suivante : quelle gouvernance voulons-nous pour l’eau ?
Si l’on dénonce souvent le millefeuille territorial, qui complexifie nos politiques, la gestion de l’eau, en France, en constitue une parfaite illustration.
Historiquement, elle a été l’une des premières politiques publiques vraiment décentralisées. L’organisation en agences de bassin reste pertinente, mais force est de constater que sa mise en œuvre révèle de singuliers paradoxes. À vouloir mettre tout le monde autour de la table, ce qui est louable, on aboutit à une technocratisation des structures, du type comités de bassin et agences de l’eau, dans lesquelles l’on parle beaucoup, mais où l’on décide peu. Nous péchons presque par excès de démocratie locale, les élus locaux finissant par être dépossédés des décisions qui les concernent. Se produit ainsi, de manière insidieuse, une sorte de recentralisation rampante. Ce sont souvent les techniciens qui ont les commandes, et non les élus.
L’effort de sensibilisation et la volonté de mobilisation passeront par une réflexion sur l’organisation. Dans le respect du cadre européen, la problématique de l’eau doit pouvoir être intégrée dans des projets de territoire, pour promouvoir les procédures participatives, concertées et efficaces, dont nous, et plus encore les générations futures, avons besoin. (Applaudissements.)
Deuxième intervention :
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour le groupe socialiste et républicain.
Jean-Jacques Lozach. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ferai quelques réflexions concernant le rapport de notre collègue Rémy Pointereau sur la gestion de la ressource en eau, dix ans après la loi du 30 décembre 2006.
Je ne veux pas opposer les usages, sans nier les conflits importants qui peuvent voir le jour. Sur le point emblématique de la continuité écologique, des tensions et des incompréhensions que la mise en œuvre de la politique publique peut susciter, le Gouvernement a choisi de favoriser le dialogue et la souplesse.
En effet, les préfets ont reçu instruction de ne pas consacrer trop d’énergie sur les éléments les plus bloquants et de favoriser la pédagogie en faisant connaître les exemples réussis de cette politique. Sur ce point, il faut mettre en lumière le fait que la patience est indispensable pour ne pas crisper les différents protagonistes ; nous devons rappeler que les activités et les aménagements humains peuvent, dans la très grande majorité des situations, être conciliés avec les exigences écologiques.
À côté des difficultés et des critiques que j’ai exprimées dans ma précédente intervention, la plus grande diversité de représentation dans les instances de bassin – comité de bassin, commissions locales de l’eau, conseils d’administration des agences de l’eau – permise par la loi sur la biodiversité est un progrès, en réponse aux critiques de 2015 de la Cour des comptes. Dans le même temps, l’élargissement des missions des agences de l’eau, ainsi que l’exercice concerté des pouvoirs de police, administrative ou judiciaire, de l’eau et de l’environnement par l’Agence française de la biodiversité permettra, je l’espère, une meilleure prévention et une gestion plus équilibrée des conflits d’usage.
Concernant la récente compétence GEMAPI, les intercommunalités devront se saisir de ce nouvel outil afin de le rendre performant et adapté. Sa mise en œuvre doit faire l’objet, dans l’idéal, d’un dialogue et d’un accompagnement de la part de plusieurs acteurs majeurs de la politique de l’eau, dont l’État et les agences de l’eau, mais sans pour autant retirer le pouvoir des mains des élus locaux.
De même, les projets de territoire devraient devenir un élément de référence de la mise en œuvre, au niveau local, de la politique de l’eau, en prenant soin d’intégrer les réalités de chaque territoire et l’ensemble des usagers. Typiquement, la question des projets de stockage et l’encadrement du cofinancement des agences de l’eau par l’instruction du Gouvernement du 4 juin 2016 est, à mes yeux, un moyen d’avancer sur ce sujet de manière raisonnée.
Pour conclure, les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés au niveau tant européen que national ne devraient pas faire l’objet d’une remise en question. C’est notre tâche que de permettre la poursuite sur les décennies à venir d’une politique de gestion et de protection de la ressource en eau durable. C’est notre exigence de ne pas rabaisser ces nécessaires prétentions ; c’est aussi notre devoir d’impliquer l’ensemble de nos concitoyens, car notre avenir n’est pas construit seulement pour quelques-uns. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)